Magnocariçaies

Magnocaricion elatae / Caricion gracilis

Description

Les magnocariçaies colonisent les zones marécageuses du canton, souvent situées en retrait des plans d’eau, à proximité des petits cours d’eau à écoulement lent ou dans les dépressions humides. Elles occupent des sols engorgés en permanence, mais temporairement inondés.

La carte cantonale des milieux regroupe à l’échelle du 1:5’000e les deux variantes suivantes :

  • les magnocariçaies à laîche élevée (Magnocaricion elatae) poussent sur des sols organiques* très faiblement oxygénés1, riches en nutriments1. Elles se reconnaissent très facilement à la présence de grosses touffes de laîche élevée (Carex elata) appelées touradons1, 3.
    Ces structures végétales proéminentes ont la particularité de poursuivre verticalement leur croissance sur les anciennes racines et feuilles mortes afin de limiter l’inondation de leur feuillage. Il est également possible de rencontrer ponctuellement la marisque (Cladium mariscus)3, bien que cette espèce ne forme pas de grandes étendues dans le canton. La présence d’espèces plus colorées comme la grande scutellaire (Scutellaria galericulata)3, la lysimaque vulgaire (Lysimachia vulgaris)2, le peucédan des marais (Peucedanum palustre)3 ou le séneçon des marais (Senecio paludosus)3 est en revanche plus fréquente.
  • les groupements à laîche grêle (Caricion gracilis) se développent sur des sols minéraux* faiblement oxygénés, très riches en nutriments3. Elles se reconnaissent à la présence de populations étendues, denses et régulières de laîches rhizomateuses* souvent de couleur vert glauque5. Les plus dominantes sur le canton sont la laîche à angles aigus (Carex acutiformis)3, 5 et la laîche des rives (Carex riparia)3, 5, mais il est également possible de rencontrer ponctuellement la laîche vésiculeuse (Carex vesicaria)3, 5, ou plus rarement la laîche d’Otruba (Carex otrubae)3. Elles occupent de grandes surfaces dans les Prés de Villette, où elles sont accompagnées au printemps des fleurs jaunes de l’iris faux acore (Iris pseudacorus)3, 5.
    La salicaire commune (Lythrum salicaria)2, 5, l’agrostide stolonifère (Agrostis stolonifera)3 ou le myosotis des marais (Myosotis scorpioides)7 sont occasionnellement présents au sein de ces formations le plus souvent monospécifiques*.

Où observer

Par exemple depuis l’observatoire des Prés de Villette (Gy) ou celui de Combes Chapuis (Versoix).

Quand observer

En février-mars pour écouter le chant des grenouilles. Au mois de mai-juin pour profiter de l’ambiance mystérieuse et envoûtante des marais, tout en contemplant la discrète floraison de laîches.

Profil

Surface en hectares
11.8
Pourcentage du canton occupé
0.04%
Humidité
Minimum Moyenne Maximum
4 4.5 4.8
Acidité
Minimum Moyenne Maximum
3 3.2 4
Richesse en nutriments
Minimum Moyenne Maximum
2.6 2.9 3.3
Granulométrie
Minimum Moyenne Maximum
4.5 4.75 5
Naturalité
Value
5

Le saviez-vous?

Si vous rencontrez la marisque, ne cherchez pas à la saisir trop rapidement : vous auriez la quasi-certitude de vous blesser. Constituées de minuscules pierres végétales de silice (le même matériau qui compose les grains de sable), les marges de ses feuilles sont aussi coupantes qu’un rasoir ! Ces petites pierres végétales, appelées phytolites, sont ordinairement formées de silice mais parfois aussi d’oxalate de calcium. Bien visibles à l’oeil nu sur la marisque, ils sont pourtant présents chez tous les végétaux mais passent le plus souvent inaperçus. Ces structures résultent d’une surabondance d’éléments minéraux captés par la plante qui finit par cristalliser à l’intérieur ou à l’extérieur des cellules végétales. Très résistants, ils ont été retrouvés dans des sédiments vieux de plusieurs milliers d’années et constituent des indices qui permettent aux chercheurs (biologistes, archéologues) de mieux comprendre notre histoire. En les analysant, il est par exemple possible d’identifier quelle était la composition de la végétation il y a près de 10’000 ans ou d’imaginer ce que mangeaient, cultivaient et transportaient nos lointains ancêtres.

Valeur biologique

Les magnocariçaies offrent des sites de refuge et de reproduction pour de nombreux animaux liés aux eaux peu profondes comme les grenouilles ou les odonates*, 1. A Genève, ces milieux abritent deux espèces de leste (Lestes dryas, Lestes sponsa), des libellules menacées au niveau Suisse et dans le bassin genevois.

Au sein des zones marécageuses, elles assurent aussi les importantes fonctions de filtration, de stockage et de régulation du niveau des eaux5. Associées à d’autres groupements des lieux humides, les magnocariçaies ont un effet régulateur puisqu’elles agissent comme des éponges naturelles géantes8. En captant l’eau, en l’emmagasinant et en la relâchant très lentement sur une plus ou moins longue période8, elles atténuent les risques d’inondations8. La conservation et la restauration des zones marécageuses permettent donc non seulement de limiter les problèmes d’inondations, mais aussi d’atténuer la sécheresse des surfaces agricoles et de contribuer au maintien des réserves d’eau potable8 durant la période estivale.

Elles jouent également un rôle auto-épurateur significatif en favorisant le développement des bactéries impliquées dans la décomposition des nitrates, fréquemment utilisés comme engrais dans l’agriculture. Le sol des magnocariçaies est mal oxygéné, ce qui limite les processus de dégradation de la matière organique. Mais certaines plantes des marais (laîches, roseaux) sont capables de diffuser de petites quantités d’oxygène atmosphérique au niveau de leurs racines; une particularité qui crée dans la rhizosphère* un environnement favorable à la croissance des bactéries dénitrifiantes10. Ces micro-organismes mettent alors en œuvre des processus de transformation des composés azotés en azote atmosphérique et contribuent ainsi à l’épuration des eaux usées10.

Vulnérabilité et gestion

Les grands travaux d’assèchement des marais et de canalisation des cours d’eau réalisés dans les années 1920 sur le territoire cantonal ont fortement contribué à la réduction des zones marécageuses4.

Aujourd’hui, la pression exercée s’est stabilisée et la prise de conscience d’une gestion plus raisonnée des surfaces agricoles a permis de réduire les risques d’assèchement et d’enrichissement des milieux en nutriments (eutrophisation). Actuellement, le gestionnaire doit surtout faire face à la fermeture naturelle du milieu. Autrefois appréciées pour leur productivité, puisqu’elles permettaient de récolter une importante quantité de litière lors d’une fauche tardive1, les magnocariçaies ne présentent plus de nos jours d’intérêt agricole1. Sans intervention humaine, la litière sèche de cet écosystème productif demeure sur le sol en fin de saison de végétation. En s’accumulant année après année, le sol s’exhausse et rend possible une dynamique forestière initiée par l’installation du saule cendré (Salix cinerea) et de l’aulne glutineux (Alnus glutinosa)1. Pour éviter cette évolution, il peut être envisagé d’intervenir de deux manières: soit par la fauche régulière d’une partie de la surface avec exportation de la litière5. Il est préférable dans ce cas d’éviter de tout faucher en une fois, afin de toujours maintenir une partie du milieu sur pied. Soit par une intervention d’arrachage des ligneux, organisée à intervalles espacés mais avec une certaine régularité, afin de pouvoir contenir le niveau d’embuissonnement.

La fauche a l’avantage d’étaler les coûts dans le temps et de réaliser une intervention «douce» pour le milieu, bien que la surface fauchée perde temporairement son intérêt pour la biodiversité (perte de l’habitat en attendant qu’il repousse). En comparaison, l’arrachage est plus «traumatisant», mais permet en revanche le redéploiement de niches écologiques*, notamment pour les espèces pionnières*.

Une partie des magnocariçaies du canton se trouvent dans des bas-marais d’importance nationale ou sur des sites fédéraux de reproduction des batraciens (OBAT).

Dynamique

Fichier

Espèces

Flore vasculaire
Laîche à angles aigus Carex acutiformis
Laîche élevée Carex elata
Laîche des rives Carex riparia
Laîche vésiculeuse Carex vesicaria
Marisque Cladium mariscus
Gaillet des marais Galium palustre
Lycope d’Europe Lycopus europaeus
Lysimaque vulgaire Lysimachia vulgaris
Menthe aquatique Mentha aquatica
Peucédan des marais Peucedanum palustre
Scutellaire à casque Scutellaria galericulata
Séneçon des marais Senecio paludosus
Oiseaux
Gallinule poule d’eau Gallinula chloropus
Râle d’eau Rallus aquaticus
Reptiles
Couleuvre à collier Natrix natrix
Amphibiens
Grenouille rousse Rana temporaria
Odonates
Leste dryade Lestes dryas
Leste fiancé Lestes sponsa
Orthoptères
Conocéphale des roseaux Conocephalus dorsalis
Conocéphale bigarré Conocephalus fuscus
Coléoptères terrestres
Plateumaris sericea
Stenus latifrons
Coccinelle à vingt-quatre points Subcoccinella vigintiquatuorpunctata
Faune invasive
Grenouille rieuse Pelophylax ridibundus
Auteurs
Sophie Pasche, Yves Bourguignon, Pascal Martin, Florian Mombrial, Patrice Prunier